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vendredi 16 novembre 2012

Notre petit secret

Dans le cadre du cours d'illustration avec Pol Turgeon:

Inspiré par l’histoire de Violette (le texte étant anonyme, le nom de Violette a été utilisé afin de servir la cause illustrative) trouvé sur un site de témoignage de gens qui ont subi l’inceste, j’ai réalisé cette illustration où l’on voit simplement un gâteau posé sur une table. Je trouvais la métaphore du gâteau assez bien trouvé pour plusieurs raisons. La pointe de gâteau qui se fait sortir du dessert complet représente le père qui, par son appétit sexuel, sa gourmandise, vient enlever une partie de l’enfance de sa fille, de son estime d’elle-même de sa santé mentale. La forme triangulaire de la pointe de gâteau n’est pas sans rappeler le sexe féminin. Le coulis de fruit qui coule du centre de la pointe retirée vient suggérer le sang et donc la violence de l’acte qu’a subi la pauvre Violette comme elle le décrit elle-même: «Puis ensuite est venu le moment où il a voulu entrer en moi, atteindre le plus profond de moi-même pour son plus grand plaisir, me faire souffrir ! J’ai pleuré, j’avais mal, très mal !» On peut aussi pousser l’analogie de la part de gâteau dans une autre direction où la pointe du gâteau représenterait le sexe masculin de par l’insertion possible dans la partie triangulaire du reste de la pâtisserie et par les deux choux de crémage qui se trouvent à la base. 
Le symbole du gâteau en soi n’est pas non plus anodin. C’est visiblement un gâteau d’anniversaire et traditionnellement, ceux-ci sont célébrés en famille. Ceci implique que le drame est un drame familial. Aussi, un des effets négatifs au niveau psychologique chez la victime d’inceste, est le développement de pathologie comme la boulimie, malheur que Violette mentionne dans son récit: « Je suis tombée dans une phase de boulimie extrême et malgré les vomissements, j’ai pris beaucoup de poids.» Le gâteau est donc symbole de cette période difficile de la vie de la victime. Le mot «Joyeux Anniversaire Violette» vient contribuer à établir que le gâteau est bel et bien un gâteau d’anniversaire et non un gâteau quelconque. De plus, la coupure du nom de Violette par la pointe retirée vient créer le mot «Viol» qui aide le lecteur à comprendre que l’illustration parle d’un viol, plus particulièrement de l’inceste par l’objet du gâteau de fête familial. 
Le gâteau est au centre de l’illustration pour aider le lecteur à voir plus facilement de quoi il est question. Le sujet du viol et de l’inceste demandant beaucoup de réflexion de par la nature métaphorique de l’illustration, il me semblait nécessaire de centrer l’attention du lecteur sur un objet unique et ne pas le submerger d’éléments décoratifs de circonstance de lieux ou autre. De plus, son isolement dans l’espace reflète le sentiment d’isolement vécu par la victime d’inceste comme le témoignent les passages du récit suivants: « Je crois que c’est le poids du secret qui a été le plus dur pour moi. J’avais l’impression d’être hantée, sale et différente de toutes les autres filles. J’ai encore gardé l’habitude du camouflage même s’il s’amoindrit. J’ai l’impression de porter un masque en permanence et de me cacher comme si je pouvais laisser transparaître une faille dans mon comportement.» et « Pendant toutes ces années, j’ai été dans l’incapacité d’en parler, je n’avais confiance en personne et j’avais beaucoup trop peur pour cela.» Et c’est sans mentionner l’abandon de sa famille suite à l’annonce du drame et la manipulation du père. 
L’utilisation du camaïeu de violets est une allusion au nom de la victime et est destinée à rendre le gâteau plus féminin et donc l’association entre le gâteau et la victime d’inceste plus facile.



 « J’ai été victime d’inceste durant toute mon enfance par mon père. Après un long chemin parcouru, je crois être devenue une personne équilibrée bien qu’ayant de nombreux traumatismes au quotidien. Les plaies se referment doucement, mais les cicatrices restent. Parce que l’on peut s’en sortir, je voudrais témoigner... 

J’ai été victime d’inceste par mon père pendant toute mon enfance. Les faits sont mentalement difficiles pour moi à reconstituer, car les barrières de la mémoire m’empêchent de remonter assez loin. Je procède toujours par des associations bizarres comme les habits que je pouvais porter, une chemise de nuit blanche avec des roses, puis cela m’aide à dater approximativement les faits. C’est confus, mais c’est ancré là, en moi. Et je me demande souvent si c’est un vieux cauchemar qui m’aurait marqué ou un souvenir. 

Je crois que cela a commencé vers mes 4 ans jusqu’à mes 16 ans. Je vis avec la culpabilité d’avoir accepté tout cela et porter le poids du secret pendant toutes ces années. Mais tout se passe si insidieusement que l’on ne se rend pas compte, ça commence seulement par un geste et les choses sombrent plus profondément au fur et à mesure. De plus, j’aimais beaucoup mon père, je l’admirais énormément comme toutes les petites filles. Je voulais être aimé par lui, mais pas de cette manière. 
Par ailleurs, il avait une très grande autorité sur ces enfants et j’en avais très peur. Lors de mon dépôt de plainte, j’ai été complètement démunie lorsqu’on me demanda quel chantage il opérait pour me faire taire. Il ne procédait à aucun chantage, je savais que je ne pouvais pas en parler, que c’était notre secret et que c’était mal. Pour cela aussi je m’en suis voulu très longtemps. L’inceste est l’interdit anthropologique premier dans toute société et s’il est si douloureux, c’est parce qu’il est construit socialement comme un délit et que l’on s’enferme donc dans un secret inébranlable qui est nourri par la peur et la honte. 

Je crois que c’est le poids du secret qui a été le plus dur pour moi. J’avais l’impression d’être hantée, sale et différente de toutes les autres filles. J’ai encore gardé l’habitude du camouflage même s’il s’amoindrit. J’ai l’impression de porter un masque en permanence et de me cacher comme si je pouvais laisser transparaître une faille dans mon comportement.

Puis ensuite est venu le moment où il a voulu entrer en moi, atteindre le plus profond de moi-même pour son plus grand plaisir, me faire souffrir ! J’ai pleuré, j’avais mal, très mal ! Il a insisté, il s’en fichait! Au contraire j’avais l’impression que ça lui faisait encore plus de bien alors j’ai arrêté, j’avais tellement de haine que les jours suivants je ne pleurais plus, je me laissais faire et j’attendais que ça se passe, mais plus je me taisais plus il en demandait! Il voulait toutes les fins d’après-midi lorsque je rentrais, mon petit frère était là, ma mère travaillait à l’extérieur, lui «travaillait» au bureau de la maison. 
Pendant toutes ces années, j’ai été dans l’incapacité d’en parler, je n’avais confiance en personne et j’avais beaucoup trop peur pour cela. Je me demandais comment allait continuer à vivre ma famille après cela et je me disais que je faisais moins de casse à porter ce fardeau seule. Je suis tombée dans une phase de boulimie extrême et malgré les vomissements, j’ai pris beaucoup de poids. Puis, après avoir cherché toutes les solutions possibles et inimaginables, j’ai écrit une lettre à ma mère puis fugué. Après cette révélation, je pensais que j’allais être délesté et que tout s’arrangerait. Et bien … tout s’est empiré ! 
Mon père est un génie de la manipulation et ma mère lui est totalement soumise. Mon père n’a pas nié les faits, mais il a inversé les rôles et fait de moi un coupable. Il m’a accusé de faire exploser la famille et a convaincu ma mère, mon frère et ma soeur de ne plus m’adresser la parole et de ne plus rien dire en 
ma présence. Je n’étais plus membre de leur « clan » et je n’étais plus digne de confiance. J’ai dû continuer à vivre deux ans avec eux dans cet enfer, car sous la pression je ne pouvais pas porter plainte, ni en parler à une assistante sociale. Il disait que j’avais hérité du mauvais sang, que j’étais un être abject et que j’étais le diable. Cela semble complètement fou, mais c’est pourtant la vérité. À force de me l’entendre dire, je l’ai cru et je suis plus ou moins tombée dans une spirale d’autodestruction. J’ai foutu en l’air un an de ma vie de façon tout à fait consciente. J’éprouvais une colère énorme envers tout le monde, sans frontières, je ne comprenais pas comment la terre pouvait continuer de tourner sachant ce qu’il m’arrivait. J’étais seule pour affronter cela et j’en venais même à détester la personne qui souriait ou riait. J’étais absolument rongée par la haine et la colère. Puis je crois que j’ai rencontré les bonnes personnes, il m’a fallu des années pour en parler et accorder ma confiance. Je me suis éloignée de ma famille et j’ai fini par couper les ponts de façon irréversible. J’en souffre beaucoup, car j’ai une autre petite soeur de 6 ans que je ne vois plus. La dernière fois que je l’ai vu, elle devait avoir deux ans.

La distance m’a permis d’évoluer et soigner mes plaies. Cependant les cicatrices sont des traces ineffaçables. Je pensais avoir été la seule victime et je protégeais encore mon « clan » auquel je ne faisais plus partie en me taisant. Cependant l’année dernière (décembre 2010), ma cousine âgée de 12 ans de plus que moi m’a révélé que mon père avait à plusieurs reprises tenté d’abuser d’elle lorsqu’elle était plus jeune et qu’elle venait en vacances chez mes parents. J’étais encore bébé à cette époque. Pour moi, ç’a été le coup de grâce, j’ai compris que mon père était un monstre et que personne n’était plus en sécurité. J’ai pensé à mes deux soeurs qui vivent encore avec eux et j’ai porté plainte. J’ai écrit au procureur de la République, déposé une plainte, des enquêtes ont été faites dans le calvados et aujourd’hui la procédure est encore en cours. J’attends que le procureur examine le dossier pour établir une mise en instruction et que celui-ci passe enfin dans l’autre département. 

Toutes ces années m’ont permis d’évoluer, je suis passée de la jeune fille instable et à fleur de peau à une jeune femme plus ou moins équilibrée et bien dans sa peau. Cela semble difficile à croire quand le curseur est réglé en bas de la frise, mais les choses évoluent, on fait des rencontres et on apprend à accepter sa différence. J’ai toujours l’impression d’avoir deux vies, celle d’avant, engorgée dans le passé et celle d’après, tournée vers le présent et le futur. Je ne peux pas te dire que l’on oublie, car il ne se passe pas un jour sans que j’y pense et que je me sente encore différente. Mais généralement, j’y pense comme mon histoire, mais ce n’est pas douloureux. J’ai appris à prendre énormément de recul avec mon passé et je peux en parler assez librement avec les gens qui me sont très proches. Cependant, parfois je retombe, c’est une sensation très difficile à décrire, c’est un état de mélancolie énorme ou je me sens complètement aliénée et dépossédée. J’ai l’impression de marcher contre le vent pour échapper au puits duquel je suis sorti et que, malgré mes efforts j’y retombe à nouveau. Je retombe dans un état de mélancolie profond, je m’enferme chez moi, je pleure, je broie du noir et je refuse catégoriquement de tendre la main à celui qui me la tend. Je ne sais pas si c’est une seule question de pudeur, je crois que j’ai envie d’affronter mes démons seule. Je suis quelqu’un de très enthousiaste, exaltée et j’ai beaucoup d’humour. Mais ces jours-là, je suis méconnaissable, je deviens une ermite pour un temps plus ou moins long. Et puis, ça passe… j’achève mes vieux démons et je reviens à la réalité. J’appelle ça mon coup de blues, c’est un état de déprime qui est peut-être incontournable où je me laisse sombrer. Mais l’important c’est d’en avoir conscience et surtout d’achever ces démons. Tu sais, aujourd’hui je crois que mon histoire m’a rendu plus forte et je suis assez fière d’être différente. J’ai un sentiment d’invincibilité parce que je me dis que le pire est derrière moi et que je n’ai plus grand-chose à craindre. Je suis sortie de l’enfer et ç’a été le plus dur, maintenant tout peut être plus doux. 

Nous sommes des êtres singuliers et uniques, néanmoins ce que nous ressentons n’est pas fondamentalement différent. Nous gardons des séquelles et des traumatismes, c’est certain… Cependant il faut réussir à potentialiser nos faiblesses pour en faire une force, inverser les charges négatives en positives. Je suis atteinte du syndrome du survivant de l’inceste, c’est-à-dire que je garde certains traumatismes qui ne s’effaceront pas facilement : j’ai peur de dormir, je n’ai confiance en personne, je minimise ce qui m’est arrivé, car c’est plus facile pour moi de vivre comme cela, je ne supporte pas l’eau sur mon visage quand je prends ma douche ou si je suis à la piscine, je ne supporte pas non plus qu’on me touche le visage, je teste mes limites constamment pour me sentir vivante, j’ai l’impression d’être invincible tout en pensant que le bonheur ne dure pas, je suis perfectionniste … Mais cela ne m’empêche pas d’être une personne tout à fait équilibrée, ou presque … J’ai la chance de me sentir bien dans ma peau, jolie, j’ai assez confiance en moi, je vois la vie comme un terrain de jeu et je trouve même la vie assez sympa ! »